Une nouvelle agence de financement pour la recherche scientifique

En marge du débat parlementaire sur la loi portant sur une Republique Numérique, présentée par Axelle Lemaire, a refait surface la désormais bien vieille question du libre accès aux résultats de la recherche scientifique, et en particulier aux articles scientifiques. La question n'est pas nouvelle, mais tenez-vous bien, la conclusion qu'on vient d'en tirer aujourd'hui est révolutionnaire: une nouvelle agence de financement de la recherche, entièrement financée par les éditeurs scientifiques, et auto-gérée par les chercheurs peut enfin voir le jour!

Portez-patience, lisez tout, et vous m'en direz des nouvelles!

De la diffusion à la captation du savoir

D'abord, un peu de contexte: les plus agés d'entre nous se rappellent que les éditeurs scientifiques d'antan remplissaient bien un rôle indispensable, quand la diffusion de copies imprimées dans le réseau des bibliothèques était le moyen le plus efficace et économique pour la diffusion du savoir. Et à cette époque, les scientifiques ne se posaient pas trop de question quand les éditeurs leurs demandaient la cession intégrale de leurs droit d'auteur, et bien sûr, sans aucune remuneration, comme condition pour paraitre dans un journal ou des actes de congrès.

Mais ce mariage d'intérêt avec la communauté scientifique a progressivement viré au divorce avec l'évolution des technologies modernes: les éditeurs se sont transformés pour la plupart en simples imprimeurs et la captation indue des droits d'auteur des scientifiques est devenue le socle d'un monopole qui s'est approprié sans véritable contrepartie une partie grandissante du financement de la recherche, et poussé sur le bord du précipice les budgets des bibliothéques universitaires, étranglées par des prix d'abonnement en continuelle augmentation qui ont fait exploser les benefices des quelques grandes maisons d'editions scientifiques, devenues aujourd'hui richissimes puissances financieres.

On est passés des éditeurs diffuseurs du savoir, à l'époque des bibliothéques, aux imprimeurs qui captent le savoir, et empechent les lecteurs d'y acceder en ligne, en mettant des paywalls partout.

L'Open Access à la rescousse ...

Pour pallier ce problème, le mouvement pour l’Open Access, né il y a plus de quinze ans, insiste sur l’importance de rendre à nouveau facilement disponible la connaissance, dans les nouvelles bibliothèques virtuelles qui sont aujourd’hui les sites web académiques.

L’idée est simple : un article scientifique en Open Access doit pouvoir être accessible sur le web sans passer par des paywalls.

... ou pas ?

Mais il y a un hic : dans l’état actuel des choses, un chercheur n’est pas du tout sûr de pouvoir mettre en ligne un article scientifique qui est accepté dans un journal ou une conférence prestigieuse. En effet, il est pris en tenaille entre

  • d’un côté, l’obligation, imposée par l’imprimeur, de céder ses droits patrimoniaux, pour que l’article soit publié dans une revue ou des actes contrôlés par les éditeurs, ce qui en entrave la distribution en Open Access ;
  • de l’autre côté, l’obligation, imposée par les différentes agences d’évaluation et de recrutement, et des fois par nos propres communautés scientifiques, de publier dans des revues ou actes qui sont prestigieux parce que existant depuis longtemps, et donc presque tous contrôlés par ces mêmes grands imprimeurs ;

Eh oui : pour un chercheur qui déciderait de se lancer uniquement dans l’Open Access, et boycotter les imprimeurs monopolistiques, adieu le bon indice h, et au revoir le gros facteur d’impact ! Et oh combien bas il se retrouvera dans les classements basés sur Scopus ou le Web Of Science... que les imprimeurs ont réussi a faire adopter, avec un joli coup de pouce venant de Shanghai, par nos gouvernants et plusieurs collègues comme mesure ultime d’excellence scientifique.

Cachez cette solution, qu’on ne saurait voir...

Pourtant, une solution simplissime à ce dilemme existe bien, et elle est déjà codifiée dans la loi depuis des décennies : elle se niche dans le très joli article L-131-4 du code de la propriété intellectuelle qui dit très simplement.

La cession par l’auteur de ses droits sur son œuvre peut être totale ou
partielle. Elle doit comporter au profit de l’auteur la participation
proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation.

Pour être clair : le terme « cession d’un droit » signifie que celui qui le cède ne les a plus, et celui qui le reçoit il les a en exclusivité.

Eh oui, la cession gratuite des droits d’auteur à un éditeur paraît bel et bien interdite. Cela veut dire que les centaines de milliers de formulaires préremplis sur lesquels des maisons d’édition de tous les pays nous ont extorqué notre signature sont foncièrement contraires à la loi.

Et pas n’importe quelle loi : c’est bien le même code de la propriété intellectuelle dans lequel on a instauré une rémunération pour copie privée qui n’exonère pas les hôpitaux, qui sont aujourd’hui parmi les plus grands utilisateurs de DVD, de contribuer au financement de la culture ; et c’est surement une bonne chose... on m’a toujours dit qu’écouter du Mozart fait produire plus les vaches laitières, cela doit certainement faire du bien à la santé.

La voilà, donc, la solution : face à l’ampleur de la violation des droits, tant en extensions (tous les scientifiques), qu’en durée (des décennies), on se saurait attendus à voir voter, à fureur de peuple, un simple article d’intérêt public rappelant le droit et stipulant :

La cession des droits patrimoniaux sur un article scientifique n’est pas
permise. Toute stipulation contraire dans les contrats existants et futurs
est considérée nulle et non avenue.

C’est d’ailleur à peu près ce que proposait un amendement plébiscité par notre communauté.

Il n’y a nul besoin de céder ses droits à un imprimeur pour qu’il puisse inclure dans ses revues nos articles, pour lesquels il ne nous a pas rémunérés : il suffit de lui concéder un droit non exclusif pour qu’il publie sa version, tout en gardant pour nous le droit de faire ce que nous voulons avec la notre, y compris la déposer sur une archive ouverte ou plusieurs, à notre guise.

Mais on sait bien qu’on préfère souvent faire compliqué et inefficace quand on pouvait faire simple et efficace : cette solution évidente, pourtant bien mise en avant, n’a été jamais prise en compte... fort heureusement !

... Et fêtons la naissance de l’APRAPR !

Eh oui, si on avait adopté cette simple solution, la violation massive et pluridécennale des droits des auteurs scientifiques aurait été effacée sans aucuns frais pour les perpetrateurs de ces méfaits.

Il est vrai que si les clauses abusives avaient été considérées nulles et non avenues, on aurait récupéré nos droits automatiquement sans avoir à faire de procès, et l’Open Access, massif, serait une réalité aujourd’hui.

Mais on aurait risqué de perdre la possibilité d’exiger le versement, assorti de dommages et intérêts, de la juste rémunération des auteurs scientifiques qui ont été spoliés de leurs droits pendant des décennies.

Grâce à la lungimirance de nos pouvoirs publics, et de nos parlementaires, qui ont écarté la solution décrite plus haut, aujourd’hui, nous pouvons heureusement lancer l’APRAPR, Agence Pour le Recouvrement de l’Argent de la Recheche Publique.

Il s’agit d’une « société d’auteurs » qui va se charger d’attaquer en justice les éditeurs fautifs, et demander le remboursement, avec les dommages et intérêts, des rémunérations dues en vertu de l’article L-131-4 en échange de la cession des droits extorqués par les éditeurs, et non perçus par les auteurs scientifiques.

En représentant tous les auteurs, l’APRAPR pourra exiger qu’on considère comme assiette pour le recouvrement la totalité des revenus des éditeurs, ce qui revient, pour les plus grands, à plusieurs milliards d’euros par an.

Avec les intérêts de retard et les pénalités sur plusieurs décennies, on peut estimer que l’APRAPR pourra arriver à récupérer des sommes très considérables. Comme d’usage dans le monde des sociétés d’auteur, cet argent sera ensuite utilisé pour financer les nouvelles créations, c’est à dire, pour nous, la recherche, et tout cela, en pleine autogestion.

Pour adhérer à l’APRAPR, n’attendez plus, allez tout de suite sur cette page... qu’on se le dise !