Rapprocher la recherche publique et l'entreprise: la piste du Chèque Formation Conseil Innovation.

"Décloisonner la recherche publique et l'entreprise", pour faciliter le transfert d'expertise et l'innovation: voilà un sujet qui a fait couler beaucoup d'encre, et qui continue de passionner notre classe dirigeante. La raison est que, plus de dix ans après la loi sur l'Innovation et la Recherche, après des grandes masses d'argent public dépensés en dispositifs divers, allant du Crédit Import Recherche (CIR), aux projets collaboratifs de toutes sorte (ANR, FUI, FEDER, Programme cadre Européen, etc.), le constat reste mitigé, et on n'arrive toujours pas à faire décoller l'innovation. Il faut peut-être porter un regard nouveau sur la question, et chercher des catalyseurs différents.

Les objectifs

Si on cherche à décloisonner les mondes de la recherche publique et de l'entreprise, c'est pour deux raisons: d'un côté, on veut faciliter le transfert de l'expertise et du savoir­-faire des acteurs de la recherche publique afin de renforcer l'innovation au sein des entreprises; de l'autre côté, on vise à permettre aux chercheurs de mieux comprendre les problèmes concrets rencontrés par les entreprises, ce qui peut être très fructueux, comme dans le cas bien connu de la satisfiabilité booléenne.

Sur ces objectifs et sur leur importance, tout le monde est d'accord, mais il y a bien moins d'unanimité sur comment les atteindre, au vu du nombre impressionnant d'instruments publics déployés à cette fin.

Les moyens traditionnels abondent ...



Dans la trousse à outils de l'État, on trouve une longue liste de mesures qui visent à pousser les acteurs de la recherche publique et les entreprises à travailler ensemble.

Pour motiver les entreprises, on a recours essentiellement à des incitations économiques, qui sont conséquentes et peuvent prendre plusieurs formes :

  • le Crédit Impot Recherche (ou CIR), mécanisme qui offre une réduction fiscale importante si on fait de la R&D; cela incite les entreprises à recruter des jeunes doctorants, ou à passer des contrats avec des institutions de recherche attitrées (Universités, Centres de Recherche, Fondations de Coopération Scientifique, IRT, etc.)
  • les thèses Cifre, qui permettent de faire supporter à l'état la moitié du coût d'une thèse industrielle
  • les Laboratoires Communs, qui permettent de rendre éligible au CIR toute une activité de R&D
  • les projets collaboratifs (ANR, FEDER, FUI, etc.), qui permettent d'obtenir des subventions importantes si on collabore avec des institutions de recherche
  • ...

Pour motiver les académiques, la palette d'instruments est un peu plus variée :

  • pour ceux qui veulent rester des chercheurs (ou enseignants-chercheurs), on trouve
    • la carotte de la motivation économique : en réduisant les crédits récurrents, on transfère l'essentiel des financements de la recherche sur les projets, dont plusieurs sont par leur nature des collaborations industrielles, et cela pousse les académiques à s'associer à des entreprises. On note cependant que les académiques n'ont pas d'avantage économique direct: le chercheur n'est pas (encore) rémunéré sur ses contrats de recherche, il utilise simplement cet argent pour l'activité de recherche habituelle.
    • la carotte de l'avancement de carrière : en comptabilisant le nombre de contrats industriels ou de recherche, et le nombre de brevets déposés, dans les éléments pris en compte pour les promotions, on pousse les chercheurs à accumuler les contrats.
  • pour les (rares) chercheurs qui décident de valoriser directement leurs résultats de recherche, la loi dite "Allègre" prévoit des mécanismes très avantageux qui leur permettent de créer une entreprise, ou de porter leur concours scientifique à une entreprise crée par d'autres, et même de participer aux organes directifs (mais selon les chiffres donnés par le Ministère lors d'une conférences en 2010, seulement 600 chercheurs sur environ 140.000 y ont eu recours en 10 ans)

L'étendue de ce véritable arsenal incitatif pour la recherche et le développement a fait dire que la France est de loin le pays le plus favorable à l'innovation (voir par exemple la présentation de l'Agence Française pour les Investissements Internationaux). Pourtant, au vu des résultats très mitigés dans ce domaine (autant réels que perçus), il doit bien y avoir quelques problèmes qui restent entiers. Cette situation a fait l'objet d'une longue série d'étude, dont on mentionnera ici le rapport Birraux - Le Déaut et le rapport de l'Academie des Sciences.

... et pourtant, il manque encore quelque chose!

On a répété "ad nauseam" qu'il faut rapprocher le monde de la recherche et celui de l'entreprise. Mais tous les mécanismes que je connais introduits à ces fins (dont ceux cités plus haut) nécessitent un effort de préparation important de la part des acteurs, compensé en partie par des financements publics significatifs.

On peut même dire que la multitude de mécanismes mettant l'accent sur cette recherche partenariale a fini par assécher le financement de base de la recherche, et cela n'est pas une bonne chose: on ne peut exclure que certains projets soient montés non pas en raison de l'intérêt scientifique et technologique de la collaboration, mais simplement pour obtenir des financements.

Et pourtant, il y a une partie essentielle de la chaîne de l'innovation qui est complètement absente de tous ces dispositifs: le conseil, expertise ou formation ponctuelle fait par des chercheurs en direction de l'industrie. La raison de son importance est que c'est le moyen le plus efficace pour établir un premier contact entre des entreprises et des chercheurs qui ne se connaissent pas: s'il est satisfaisant, il pourra aboutir à construire la relation de confiance indispensable pour ouvrir la porte à des collaborations futures de plus grande envergure, qui pourront se faire par les canaux habituels.

Si une entreprise trouve un intérêt dans un travail de recherche, ou dans les compétences d'un chercheur, elle devrait pouvoir commencer par lui demander du conseil. Dans certains cas, l'entreprise est tout à fait prête à payer même très cher, et sans aucune aide publique, pour la contribution dont elle a vraiment besoin.

Mais il y a un gros problème: même si un fonctionnaire peut bien être autorisé à faire du conseil, de l'expertise ou de la formation, comme détaillé par ailleurs dans un excellent guide publié par le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, en pratique le dispositif existant a bien des trous dans la raquette, et ne lui fournit pas aujourd'hui les moyens de le faire convenablement!

En effet, les options disponibles pour un chercheur qui souhaite collaborer avec une entreprise en dehors des projets de recherche collaboratifs sont très limitées et tout à fait inadaptées aux collaborations ponctuelles :

  • soit il s'embarque dans une activité de transfert lourde, et il a recours à la loi Allègre ou à un contrat avec son laboratoire;
  • soit il fait du conseil, de l'expertise ou de la formation très réguliers, et dans ce cas il peut prendre le risque de se lancer dans l'auto-entrepreneuriat, avec ses tracasseries et pièges (obligation de déclaration même en cas de chiffre d'affaire nul, payement de la cotisation foncière des entreprises au bout de 3 ans...);
  • soit il décline poliment l'offre de l'entreprise, en lui expliquant qu'il est hors de question qu'il s'inscrive à l'Urssaf et qu'il compulse le code du travail pendant des longues nuits juste pour toucher 1000 euros bruts dont il ne sait pas s'il va lui rester quelque chose une fois tous les impôts et charges afférentes déduites, avec en plus le risque (pour le chercheur et pour l'entreprise) de voir cette activité requalifiée en travail salarié déguisé quelque temps plus tard.

Un Chèque Formation Conseil Innovation

Comme cela a été observé à plusieurs reprises, il faut qu'un chercheur puisse être rémunéré "simplement" par une entreprise pour une activité individuelle.

Le mot clé ici est vraiment "simplicité" : on ne doit pas demander à un chercheur de se transformer en entrepreneur chaque fois que l'occasion se présente d'interagir avec l'industrie, ni de passer plus de temps dans des tracasseries administrativo-impositives que dans l'activité de conseil, ni de vivre dans l'incertitude quant au regard que le fisc ou la sécurité sociale portera sur son activité. L'idéal serait d'avoir un statut propre des chercheurs et enseignants-chercheurs leur permettant d'exercer cette activité occasionellement, sans aucune formalité.

Une réponse simple au besoin serait la création d'un Chèque Formation Conseil Innovation avec lequel une entreprise puisse payer l'intervention ponctuelle d'un chercheur ou enseignant-chercheur, pour formation, expertise ou conseil, sans aucune autre démarche à faire.

Ce nouvel instrument doit permettre à l'entreprise de connaître le coût total de la prestation toutes charges comprises, sans aucun risque fiscal ou juridique, et au chercheur de savoir exactement quel montant il va percevoir, net de tout autre charge ou impôt, sans besoin de créer d'entreprise ou se lancer dans une profession libérale, et sans aucune autre demarche administrative.

Cet instrument aurait le grand mérite de permettre aux chercheurs qui souhaitent rester chercheurs, mais interagir avec l'industrie de le faire simplement; et aux entreprises qui cherchent à se nourrir d'idées nouvelles, d'y avoir accès simplement et rapidement.

Cette idée circule depuis longtemps, et le premier à ma connaissance à l'avoir énoncée est Gérard Giraudon, mais elle n'a pas encore été adoptée, soit parce-que on considère le statut d'auto-entrepreneur suffisant (ce qui n'est pas le cas, comme on a vu plus haut), soit par peur de voir émerger des dérives.

Mais il est très facile de se prémunir contre tous les abus: il suffit d'assortir ce Cheque Formation Conseil Innovation d'une imposition tout à fait confiscatoire. Par exemple, pour 500 euros touchés par le chercheur, l'entreprise pourraît en payer 1000: cela ferait 100% de charges et impôts, en rendant ce Chèque intéressant seulement pour une véritable activité de conseil ponctuel. Si l'apport du chercheur n'est pas de qualité, l'entreprise n'aura pas d'intérêt à y recourir, et si la collaboration s'installe dans la durée, l'entreprise et le chercheur se tourneront vers des mécanismes dont la fiscalité sur le moyen terme est plus favorable.

Si vraiment l'innovation est essentielle pour notre pays, le moment est venu de la libérer vraiment, en commençant là où on en a le plus besoin : en facilitant le contact entre un chercheur isolé et une entreprise, qui ne se connaissent pas forcément, afin que la confiance s'établisse. Rendre possible le conseil ponctuel, en le liberant de l'empilement de procédures fiscales, administratives et sociales dont on est déjà tous suffisamment encombrés, est un moyen simple pour y arriver.

Et à différence de tous les autres instruments incitatifs existants, cela ne coutera pas un centime au contribuable.